
Les acheteurs de végétaux face au réchauffement climatique
28 octobre 2025Hélène Lasserre : « Retrouver la mémoire de notre culture oléicole »
Hélène Lasserre : « Retrouver la mémoire de notre culture oléicole »
Rencontre avec la directrice du pôle Conservation et Recherche de France Olive. Entre incertitudes du climat et pistes d’avenir précaire, l’olive française n’a pas dit son dernier mot. Fierté du terroir, culture locale et espoir assumé, un entretien avec une Gardoise passionnée.

Hélène Lasserre, directrice du pôle Conservation et Recherche de France Olive.
L’olive française, et tous ses produits issus de sa transformation, est un héritage patrimonial à valeur ajoutée typiquement méditerranéen. Cette affirmation Hélène Lasserre, directrice du pôle Conservation et Recherche de l’interprofession France Olive, anciennement Afidol, la vit au quotidien. Cette gardoise, enseignante au lycée agricole de Nîmes-Rodilhan durant vingt ans, a la passion de l’olive chevillée au cœur.
(Re)Construire une culture de l’olive
Hélène Lasserre a été débauchée par l’interprofession pour créer « Medit’Olive », le futur conservatoire de l’olive qui devrait voir le jour dans la périphérie nîmoise. En attendant, Hélène officie au pôle Conservation et Recherche avec un objectif clair : mieux comprendre l’olive et ses variétés. « Certes, l’olivier est sans doute la plus vieille espèce d’arbre cultivée mais c’est pourtant la moins connue. Malgré son aspect millénaire, l’arbre reste jeune au regard de l’histoire des espèces végétales car son évolution, contrairement à de nombreuses plantes cultivées, a été longue. » En effet, les variétés d’olives ont été, depuis l’Antiquité, multipliées par clonage, simplement en reproduisant un plant à partir d’un rameau d’olivier.
Le changement climatique au cœur des enjeux de la filière
L’INRA et quelques érudits, comme André Martre, ont durant plusieurs décennies établies de véritables bibles pour déterminer les variétés françaises. « Leur travail a été précieux et aujourd’hui, grâce aux analyses ADN notamment, nous sécurisons et corrigeons ces connaissances. L’enjeu majeur de toute la filière (comme d’autres filières d’ailleurs) est sans conteste le changement climatique. Ce phénomène planétaire impose une adaptation des cultures, des techniques, des pratiques oléicoles parfois très anciennes qui doivent se moderniser. Mais pour cela, nous avons besoin d’avoir un maximum de connaissances de nos variétés avant de pouvoir en créer de nouvelles entre autres », soutient Hélène Lasserre.
Une approche très différente de l’Espagne qui s’est déjà lancée dans la création de nouvelles variétés d’olives.
Reportage France 3 : "L'impact de la sécheresse sur les oliviers gardois", juillet 2019
Une conférence pour le grand public
A l’occasion de l’événement Alès fête l’olive et les jardins méditerranéens, dans le parc de Conilhères à Alès, le 22 novembre, venez découvrir la passionnante conférence d’Hélène au sujet de la diversité variétale.
« Connaissez-vous vraiment la richesse variétale de votre terroir, de votre parcelle plantée d’oliviers ? Il y a environ une dizaine de variétés « leaders » dans l’esprit des gens comme la picholine, l’aglandau ou la lucques. Mais en réalité, avec près de 150 variétés en France, peu de personnes connaissent véritablement la richesse de leur parcelle. » Or, comme le défend Hélène, les gens du sud aiment leur terroir, leur terre, leurs oliviers. Ils aiment récolter et avoir l’huile de leur propre production sur leur table. « C’est quelque chose qui nous est à tous très précieux. Je suis un peu chauvine, en tant que Nîmoise, de notre picholine, certes moins douce que d’autres mais savoir différencier les huiles de chez nous et celles des autres, c’est comprendre l’immense richesse de notre terroir. Apprécier la rusticité de la picholine, savoir à quoi sont liées les différences organoleptiques de telle ou telle variété, c’est ce qui constitue notre culture. Et ceci est ancrée en nous. Car cet arbre est magique, il nous nourrit. Et parce qu’il y a beaucoup d’amateurs oléiculteurs, il y a une réelle conscience de la valeur patrimoniale de cet héritage. Cela fait autant la force de nos produits que la faiblesse de notre filière. Mon travail, et celui de France Olive, est aussi d’aider le grand public à retrouver la mémoire de cette culture qui s’est peu à peu perdue, en partie depuis la fin des années 1970 suite à l’exode rural. »
Voilà de quoi vous mettre l’eau à la bouche, alors ne ratez pas non plus la dégustation des huiles orchestrée par Hélène le 22 novembre !
Connaissance et partage de savoirs
Au Moyen-Âge, l’olive était, dans le sud de la France, un produit du quotidien où la culture des oliviers était prépondérante. L’olive était utilisée autant pour le soin et la cuisine que dans l’industrie textile pour l’ensimage de la laine.
Mais le développement spectaculaire du domaine viticole, puis la crise du phylloxera à la fin du XIXe siècle qui infesta des milliers d’hectares de vigne et le gel de 1956 ont sonné le glas pour l’olivier dont il n’est resté que quelques parcelles recluses aux confins des terres agricoles les plus pauvres et les plus difficiles d’accès.
Découvrez ci-contre le superbe texte de Jean Giono, écrit à l’hiver 1958.

© L’association des Amis de Jean Giono
Sur des oliviers morts, texte de Jean Giono, 19 décembre 1958
Après le rude hiver de 1956, on vit apparaître le squelette des oliviers. Jusque-là ils avaient été grecs de la belle époque ; brusquement, ils s’étaient dépaysés, ils avaient voyagé dans le temps et dans l’espace jusqu’à la brutalité et la sauvagerie des totems ; ils couvraient désormais les collines de diagrammes rituels. Ce que les poètes avaient fait du chevalier, de la dame du moine, du roi, du pape, de l’empereur du Moyen Âge dans les danses macabres, le gel l’avait fait avec les arbres, et surtout avec les arbres éternels, sur lesquels les saisons passaient sans marquer.[…] De là dans la construction de ces « corps morts » le concours de toute la géométrie plane, aussi sèche que dans l’âme de Monsieur Euclide, mais combien émouvante, car, au simple souvenir du feuillage gris, grec de la belle époque, qu’elle avait si longtemps porté, nous comprenions enfin qu’elle était la charpente de notre joie avant d’être (comme il se doit, et comme on sait) la charpente de l’univers.
Une lente renaissance
Dans les années 1960, l’OMS lance aux États-Unis une étude qui a mis en lumière les bienfaits du régime crétois, dit aussi « méditerranéen », sur les maladies cardiovasculaires. Dès lors, l’huile d’olive retrouve un certain intérêt chez les consommateurs français… et chez les producteurs.
Mais la filière souffre d’un fort taux d’amateurs oléiculteurs. Sur les 50 000 hectares d’oliveraies françaises, seuls 17 000 sont entre les mains d’agriculteurs professionnels. La France vit donc une lente renaissance de l’oléiculture depuis quelques décennies sur le pourtour méditerranéen.
Avec le changement climatique, les cultures s’étendent aujourd’hui au-delà du sud de la Drôme et dans le sud-ouest. « Nous voyons que le climat océanique change au profit d’un climat plus méditerranéen en Aquitaine et jusque dans le lot. C’est pourquoi, pour France Olive, « mieux comprendre » signifie travailler sur les questions de biodiversité, de pollinisation mais également sur le rôle crucial de l’eau et de la fertilisation des sols », détaille Hélène Lasserre. Un guide de l’oléiculteur est à télécharger sur le site de France Olive.
La filière dans un avenir précaire mais favorable
La polyculture toujours plus importante et une concurrence féroce espagnole, italienne ou venue d’Afrique du Nord rend l’exportation des produits français difficile pour ne pas dire impossible, principalement en raison des coûts de production. C’est donc déjà sur le marché français que la filière oléicole doit se développer. « La production française représente 4 % de l’huile d’olive consommée en France. Nos producteurs ont donc beaucoup de marge. Les pistes à développer se situent au niveau de la professionnalisation du secteur, de l’augmentation des surfaces à cultiver, de la modernisation des pratiques tout en évitant de déstabiliser le marché plus traditionnel et surtout l’affirmation d’une culture oléicole », soutient Hélène avec ferveur.
Question culture, vous avez de quoi faire grâce au site grand public Huiles & Olives, sur lequel vous trouverez une multitude d’informations sur le fruit, ainsi que des recettes, des podcasts, des conseils d’oléotourisme et de dégustation.
